L'histoire perdue retrouvée
Petit garçon.
Dédicace spéciale à Frenchmat.
Dédicace spéciale à Frenchmat.
« Je me souviens d'un été, j'avais 7 ans tout au plus...Nous étions allés camper dans le Pays Basque, avec mes parents. Ma mère, qui avait un point de vue sur tout, nous avait organisé un séjour qui ne laissait guère le temps de s'ennuyer. Elle était aussi raide que ses cheveux blonds, sûre de son fait, cassante et méprisante avec mon père et moi. Ses vacances étaient réglées comme sa vie, par une série de choses que l'on devait faire : au Pays Basque, on devait aller à l'océan, bien sûr, mais l'on devait aussi aller à la montagne, et l'on devait aller une demi-journée en Espagne. On devait assister au moins une fois à un concours de force Basque. L'année précédente, en Bretagne, ce fut crêpes, dolmens, menhirs et Fez Noz. Le cliché, la carte postale, de quoi raconter aux copines du bureau.
Moi, je n'étais pas le genre de gamins auxquels les vacanciers souriaient sur la plage. Très tôt, j'ai lu dans les yeux des autres que je n'étais pas beau, ni même mignon ; j'ai su, très nettement, que j'étais laid. Ma mère n'avait pas prévu les choses comme ça : elle en prit conscience, évidemment, mais elle ne voulut pas l'admettre. Pas en public, du moins. En public, elle se conduisait comme une mère normale ; elle en faisait même un peu trop : elle se transformait en mère poule, elle jouait le rôle de la maman fière et folle de son rejeton.
J'ai le souvenir très précis du soir du spectacle de force Basque : ce fut un exemple flagrant de son comportement...et par conséquent du mien.
Quand il y avait du monde, je me comportais comme un gamin plein de vie, comme les autres. Juste pour lui faire plaisir. Pendant une petite demi-heure, donc, je courais du haut en bas des gradins, je sautais, je batifolais. Mais sans un sourire et avec application. Juste parce que ma mère me couvait du regard, dans ces moments-là.
Elle, elle souriait. On était venus avec des voisins du camping. Ils avaient des enfants, des petits blondinets adorables, des anges. Je ne jouais pas avec eux. Je ne savais pas jouer avec les enfants parfaits.
Ce soir-là, je m'ennuyai très vite. Les choses commencèrent : l'épreuve reine, le tir à la corde. J'en avais rien à foutre, du tir à la corde, moi. Mais ma mère avait l'air d'adorer : elle tapait dans ses mains en rythme, pour faire comme les gens du pays... A l'entracte, on convia les enfants à venir s'essayer à ce jeu. Tous les mouflets, comme une volée de moineau se ruèrent sur la piste. Pas moi, bien sûr. C'est fou comme les garçons normaux, dès leur plus jeune âge veulent mesurer leur force, comparer leur biceps, pisser le plus loin possible. Pas moi. A ce moment précis, je rêvassais, repensant aux vagues qui s'écrasaient inlassablement sur la plage où nous avions passé l'après-midi. Mais ma mère me tira de ma rêverie avec un autoritaire « Vas-y ! ».
Je me souviens de sa main saisissant la mienne. Empoignant la mienne même. Pas le choix. Elle me traîna sur le stade, jusqu'à la corde. Une cinquantaine de marmots l'avaient déjà agrippée et il ne restait guère de place pour moi. C'est alors que je ne me sentis pas à ma place. Je ne sais pas ce qui se passa, mais je décidai pour la première fois de me révolter. Avec mes moyens d'enfant, avec ma violence, avec les mots que je n'avais pas, je décidai de m'imposer.
Je criai et je me débattis. Je fis un scandale. Ma mère si soucieuse de l'image qu'elle pouvait donner en public eut un moment d'arrêt. Je sentis comme une panique indescriptible la saisir. L'imprévu, la situation qu'elle ne contrôlait pas, rien de tel pour qu'elle s'effondre. Pour peu de temps. Elle m'empoigna à nouveau et fit demi tour vers les gradins en me traînant derrière elle. Je hurlais toujours, je me débattais, je me griffais le visage.
Arrivés devant mon père, elle tenta de le faire prendre la situation en main. Mon père est un mou, incapable de prendre seul une décision et s'en référant toujours à sa femme pour tout. La tentative échoua. Mon père me regarda, la regarda...Et puis souriant bêtement, il sortit une phrase genre « Ah ! La ! La ! Ce gamin... » Ça, c'était pour donner le change à ma mère. Et puis ensuite, parce qu'il sentait bien que je n'étais pas dans mon état normal, il ajouta : « En même temps, Chérie, s'il a pas envie, c'est pas grave... » Ma mère explosa...enfin, elle explosa intérieurement. Pas question de se donner en spectacle devant les voisins du camping.
Elle m'empoigna une troisième fois et sortit du stade en me tirant comme un paquet à sa suite. Sa violence était déjà incroyable. Quand nous arrivâmes à la voiture, sur le parking désert, je savais déjà que j'allais passer un très mauvais quart d'heure.
Je ne pourrais jamais oublier cette fois-là. Ce ne fut pas la dernière. Après cela, elle me battait encore et encore, à chaque fois que je n'étais pas comme elle l'avait décidé. Mais cette fois-là, la première, je ne l'oublierais jamais. Sa rage était telle qu'elle ne sentit pas sa force, sans doute. Un enfant de sept ans ne fait pas le poids face à la main enragée d'une femme en colère. Elle frappait et frappait encore. Lorsque du sang apparut à la commissure de ma bouche, soudain, elle prit conscience de ma fragilité. Elle se rendit compte de mon âge. Elle me serra alors dans ses bras en pleurant. J'étais abasourdi, à un tel point que je ne pus pleurer, que je ne pouvais plus crier, que je ne pouvais plus que chercher du réconfort dans les bras de ma tortionnaire. C'est tellement étrange. Tellement incompréhensible. Moi-même, maintenant, j'ai du mal à comprendre ma réaction. Je l'explique, certes : ma mère était la seule personne en qui j'avais confiance, jusqu'à présent. Pourtant, ce jour-là, secrètement, j'avais décidé que rien ne serait jamais plus comme avant.
Et rien ne fut plus comme avant. A l'école, à la maison, mon but était d'être exactement à l'opposé du modèle que ma mère désirait. Elle voulait que je sois le premier à l'école, je fus le dernier, quand elle se mit simplement à espérer que je trouve un BEP qui me plaise, je décidai de faire un bac littéraire et quand elle voulut que je trouve une copine, je lui annonçai que j'étais gay. Bien sûr. Et ce ne sont que les grandes étapes de la vie que je te raconte là...Si elle me demandait d'aller chercher du pain, je lui ramenais des croissants...Et vice versa...Sa vie devint un enfer. Mais la mienne aussi, du coup. J'en ai pris des coups...Malgré tout, j'ai toujours su qu'en la regardant droit dans les yeux et en disant « Non ! », j'étais le plus fort.
Voilà mon histoire...Ne crois pas que ce soit difficile d'en parler aujourd'hui. Bien sûr, j'ai pris des claques. Bien sûr que j'ai pleuré bien des fois, dans mon oreiller. Mais j'étais un gosse bien nourri et aimé, dans le fond...Oui, aimé...D'ailleurs, ma mère aussi, je l'ai aimée...Et je l'aime toujours. Tant pis si elle me rejette, si elle ne veut plus me voir. J'ai décidé de vivre ma vie sans elle. Si je t'en ai parlé ce soir, c'est juste parce que cette idée de show au Pays Basque a ravivé ces souvenirs...Mais dans le fond, c'est une bonne idée. La boucle sera bouclée...
Dis-moi ? ce ne serait pas sur un fronton de pelote basque, notre show Drag Queen... ? »
CC
CC